2,0 sur 5 étoiles
La taxe carbone défendue pour de mauvaises raisons
Commenté en France 🇫🇷 le 3 décembre 2012
Dans ses autres livres et sur son blog, JMJ a souvent plaidé pour limiter les émissions de CO2 pour des raisons climatiques. Ce livre se distingue car les aspects climatiques y sont moins développés, et on se concentre sur les aspects économiques. La thèse est qu’une raréfaction de l'énergie fossile est inéluctable et menace notre niveau de vie. Il tente donc de mettre en avant une deuxième raison de limiter la consommation d’énergies fossiles : non seulement limiter les émissions de CO2, mais aussi préserver notre niveau de vie futur. JMJ a également exposé cette idée dans un article intitulé « Les limites énergétiques de la croissance » paru dans la revue Le Débat.
Les deux premiers chapitres du livre montrent à quel point l’énergie joue un rôle important dans notre vie. Elle a bouleversé radicalement l’organisation de l’économie et de la société en général, et elle a permis à notre niveau de vie de s’envoler. Si l’énergie devait devenir plus rare, cela aurait très probablement des effets terribles.
Deux questions surgissent immédiatement : l’énergie fossile va-t-elle devenir plus rare ? et, si oui, quelle est la meilleure façon de s’adapter ?
Le chapitre 3 répond à la première question : oui, la pénurie d’énergies fossiles est pour bientôt. Physiquement, l’extraction annuelle de pétrole – le débit – doit passer par un pic puis redescendre progressivement à zéro. « Cette conclusion s’applique au pétrole, mais aussi au gaz, etc. En pareil cas, les seuls objets de débat sont la date et le niveau du pic. » Dit simplement, l’argument est que si l’on prélève de l’eau régulièrement dans une grande baignoire, le débit doit finir par baisser. Or, notre niveau de vie dépend des énergies fossiles, donc la baisse du débit aura un impact sur notre niveau de vie. CQFD
De plus, JMJ souligne aussi l’urgence du problème : « la limite se comptant en décennies et non en siècles. » (Chapitre 7) Ainsi, pour l’auteur, l’énergie fossile va devenir rare, c’est une certitude, et c’est pour bientôt.
Malheureusement, cette conclusion n’est guère plausible pour une raison simple : si c’était vrai, le prix de l’énergie serait plus élevé, et il le serait dès aujourd’hui en anticipation de la rareté à venir. Aujourd’hui, le prix réel de l’énergie est faible et n’a cessé de baisser malgré quelques fluctuations ici ou là. JMJ le reconnaît d’ailleurs et écrit que « le prix réel de quelque chose […] représente le temps qu’il faut travailler pour se payer la chose concernée. A l’aune de cet étalon, le prix réel de l’énergie mécanique a été divisé par 30 à 100 depuis un siècle et demi ! » Ceci est incompatible avec l’idée que la pénurie d’énergies fossiles est proche.
Lorsqu’on anticipe une disette, on thésaurise le blé et son prix monte avant la disette. Il est très difficile de prévoir le futur, et le prix est une manière de voir ce que tous les acteurs de ce marché pensent de la rareté future de l’énergie fossile. Je n’ai pas besoin de chercher où JMJ s’est trompé dans sa prévision, puisque je sais que les acheteurs et les vendeurs de pétrole n’y croient pas. Or, si JMJ se trompe il n’a que sa réputation de prévisionniste à perdre ; si les marchés se trompent, ils perdent leur argent. Qui a raison ? J’ai tendance à croire les gens qui risque leur argent.
Cet argument est classique et fut présenté par Julian Simon dans un livre paru en 1980. Julian Simon critiquait le biologiste américain et militant écologiste Paul Ehrlich, qui faisait le même genre de prédictions pessimiste que JMJ. Voici ce qu’il écrivit :
[Extrait de L’homme, notre dernière chance, de Julian Simon (1981)] Dans mon pays, lorsque nous pensons que quelqu’un parle sans devoir en assumer les conséquences, nous disons : « Mettez de l’argent à la place de vos paroles. » Je suis prêt à parier sur mes idées avec mon propre argent. Si j’ai tort à propos du devenir des ressources naturelles, vous pourrez en profiter à mes frais. [...]
Ceci est une proposition publique de miser 10 000 dollars par tranches de 1 000 ou 100 dollars chacune, sur ma conviction que le prix des ressources minérales (ou alimentaires ou tout autre produit) ne montera pas [...] Est-ce que les pessimistes qui soutiennent toujours la théorie de la rareté croissante, mettront aussi « de l’argent à la place de leurs paroles » ? [fin de l’extrait]
Simon demanda à Ehrlich de choisir cinq matières premières dans une liste. Ehrlich choisit le cuivre, le chrome, le nickel, l’étain et le tungstène, pariant que leur prix allait monter d’ici à 1990. C’est le contraire qui s’est produit, et Ehrlich a perdu le pari. JMJ est-il suffisamment sûr de sa prévision pour parier son argent contre les marchés ?
La deuxième question est : si la pénurie est pour bientôt (en admettant que ce soit le cas), quelle est la meilleure façon de s’y préparer ? C’est une bonne question. Il est clair que nous avons intérêt à utiliser rationnellement nos ressources, même si les prédictions apocalyptiques de JMJ sont fausses. Prévoir et s’adapter, c’est une bonne idée.
Les chapitres 5, 6 et 7 invitent les autorités politiques à mettre en place une comptabilité des émissions de carbone et un prix de la tonne carbone : « Cela passe pour commencer par la hausse programmée du prix de l’énergie. […] Il faut donner un prix croissant à l’utilisation des énergies fossiles. En théorie, cela peut se faire de trois manières : taxer, contraindre par les quantités (quotas), ou réglementer (voire interdire). »
JMJ est clairement favorable à une taxe carbone, que les économistes appellent la taxe Pigou. « Tout comme l’invention de la monnaie a conduit les agents économiques à tenir des comptes, l’« invention » de la tonne de carbone permet de mettre en place une comptabilité carbone au sein de toute organisation. » Il résume : « Comptable du carbone, voilà à peu de chose près ce que je suis. »
L’idée est que l’ajustement de l’économie en cas de hausse du prix de l’énergie est beaucoup trop complexe pour être planifiée par une autorité centrale. L’énergie a un impact sur tout : l’organisation géographique, les transports, l’information, toutes nos activités. Diriger l’ajustement sur le mode « command and control » serait complètement illusoire.
Seulement la taxe Pigou a été inventée pour gérer les externalités comme la pollution ou les émissions de CO2. Elle permet de faire payer aux industriels et aux ménages les inconvénients de leur pollution. Sinon chacun aurait intérêt à polluer, pour en retirer les bénéfices sans en supporter la totalité des inconvénients. C’est donc une bonne réponse, mais à une autre question que celle qui est posée par JMJ.
JMJ écrit qu’il vaut mieux « gérer plutôt que subir » la transition énergétique, ce que j’interprète comme voulant dire que la taxe carbone est nécessaire pour adapter notre économie à l’évolution des ressources. Mais si le prix de l’énergie change, tant que les industriels et les ménages supportent la hausse des coûts, il n’y a pas besoin de taxe Pigou. Pour ce problème économique classique, la taxe carbone n’a aucun intérêt.
Attention, je ne suis pas en train de dire que la taxe carbone soit une mauvaise chose : c’est un bon outil si l’on veut agir sur les externalités, mais ce n’est pas un bon outil pour s’adapter à l’évolution des ressources énergétiques. Le point important est qu’il faut renverser une conclusion économique du livre : la taxe carbone aurait des effets négatifs sur le prix de l’énergie et sur notre niveau de vie. Elle permettrait de réduire les émissions de CO2 au prix d’un sacrifice économique. Elle ne peut pas gagner sur les deux tableaux.
Il y a d’autres petites erreurs dans la suite, par exemple : « Rappelons que pétrole, gaz et charbon sont tout aussi gratuits que vent et soleil, seul l’effort humain pour y accéder nous coûtant quelque chose ! »
économiquement, ce n’est pas parce que les énergies fossiles nous sont données gratuitement par la nature qu’elles ont un coût nul. Ce point est crucial et souvent mal compris. L’utilisation de ces ressources est coûteuse ! Ce serait le cas même si le pétrole, le gaz et le charbon étaient extractibles sans aucun effort (ce qui n’est pas le cas). En effet, un baril extrait aujourd’hui, c’est un baril de moins disponible pour demain, et cela diminue la valeur du gisement. Si vous héritez d’un château et commencez à vendre les meubles, chaque meuble vendu représente un coût pour vous car il vient diminuer la valeur de votre patrimoine et vos revenus futurs. Il y a donc un coût à vendre les meubles, et ce coût est supportée par celui qui possède et exploite le gisement, qui compare le coût et le revenu comme dans n’importe quelle décision économique. Ce sont les « coûts d’opportunité » qui guident nos choix économiques, pas les coûts passés.
Par ailleurs, une idée de JMJ est que les arguments économiques sont plus faibles que le raisonnement « physique ». On peut comprendre pourquoi il critique la vision économique. Comme on l’a vu plus haut, le prix de l’énergie n’a cessé de baisser depuis un siècle, ce qui indique qu’elle a peu de risques de devenir très rare dans un avenir proche. Or JMJ aimerait bien démontrer le contraire.
C’est un thème qui revient souvent : « Si demain nous n’avions plus ni pétrole, ni gaz, ni charbon, ce n’est pas 4 % du PIB que nous perdrions, mais près de 99 % ! […] L’énergie consommée dans un secteur industriel donné ne représente peut-être que 10 % de ses coûts, mais elle pilote 100 % de sa production ! C’est la raison pour laquelle une vision « purement PIB » de l’énergie ne peut pas rendre compte des processus qui apparaissent en cas de tension physique sur l’approvisionnement énergétique. » Ceci montre une méconnaissance du raisonnement marginal en économie. Nous ne choisissons pas entre « utiliser du pétrole » et « ne pas utiliser de pétrole », mais entre « utiliser plus » ou « utiliser moins » de pétrole. Il est certain que, sans pétrole, notre PIB s’effondrerait, de même que sans eau la vie disparaîtrait. Mais cela ne veut pas dire que l’eau soit rare et chère ; pas plus que les énergies fossiles. Cet apparent paradoxe de la valeur est bien connu des économistes et résolu depuis 1870.
Le chapitre 7 reprend l’argument et les propositions du livre. Il contient une perle qu’il faut citer : « Où trouver l’argent de l’état, qui est, comme chacun sait, fauché ? Pour ces projets, comme pour tout ce qui concerne la création ou la protection d’actifs matériels, la recette a déjà été proposée dans notre précédent livre, C’est maintenant. Il s’agit d’utiliser la création monétaire de la Banque centrale européenne pour financer l’état français qui vient financer les programmes, en sortant les sommes correspondantes des déficits courants. » La planche à billets à tout faire : éponger la dette publique, nettoyer l’environnement, rendre l’humanité plus riche… (sic).
A part cela, il s’agit de faire monter (par une taxe) le prix de l’énergie avant que la pénurie s’en charge pour nous ; d’engager un programme massif de rénovation des bâtiments ; d’étudier la séquestration du CO2 afin de pouvoir utiliser le charbon ; de réduire la consommation de viande bovine. Encore une fois, ces mesures sont généralement justifiées pour limiter les émissions de CO2, mais en aucun cas elles ne peuvent améliorer notre niveau de vie. Au contraire, elles réduiraient notre niveau de vie.
En conclusion, un point économiquement valide dans le livre est que la taxe Pigou est une bonne manière de gérer les problèmes de pollution. Pour le reste, il comporte trop d’erreurs économiques, c’est pourquoi je ne mets que deux étoiles. Le lecteur intéressé par ces questions devrait lire « L’homme notre dernière chance » de Julian Simon, et se familiariser avec les notions de coût d’opportunité, de coût marginal, et la taxe Pigou. Pour ce qui est des questions de CO2 et de climat, ce n’est pas le sujet de ce livre.
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